Une fête folklorique qui part en vrille, des souvenirs déformés, des existences autant banales que tragiques. Un huis clos spectral où trois personnages, tout à la fois drôles, maladroits, méditatifs ou vindicatifs, esquissent une tentative de réconciliation avec eux-mêmes.
Dans ICI COMMENCE LE PAYS LA LIBERTÉ, on déplace l’idée que l’on se fait d’un pays. On imagine, en fait, que de pays il n’y en a vraiment qu’un seul, un territoire auquel une personne appartient vraiment, un territoire fermé dans lequel personne ne peut entrer. C’est cet espace mental où il n’y a que nous, un paysage mental qui nous accompagne partout. Le reste, en y réfléchissant, ce ne serait que des fictions, plus ou moins solides, qui se perpétuent dans le temps et auquel on s’attache plus ou moins volontairement.
Il y est question de la manière dont on se raconte notre existence. À nous même et aux autres. Il y est question de conversations intérieures, de souvenirs qui se déforment avec le temps, mais aussi de la manière dont on s’imagine des événements historiques. De comment, dans un récit, l’agencement de ces événements modifie l’idée que l’on s’en fait.
Il y est surtout question d’un comédien qui joue particulièrement mal et qui déclenche une bagarre général dans un village. C’est le jour de la fête de l’Arbre de mai qui célèbre la frondaison et la fécondité.
Mais cette année, entre la levée de l’arbre par les hommes et la danse folklorique par les femmes et les enfants, un comédien a été embauché pour proposer une petite reconstitution historique.
Histoire de dramatiser le sens de cette fête, de rendre le moment plus solennel. Mais personne du village n’a vraiment été prévenu.
Il jouait une reconstitution historique avec une voix bizarre pleine d’emphase et d’assurance.
Quelqu’un a dit : C’est bon ?! C’est bientôt fini ?
Alors un autre lui a répondu : Si tu le coupes tout le temps, ça ne va pas aider !
Et le premier de lui dire : Toi, quand tu travailleras autant que moi je travaille, tu pourras la ramener !”
C’est là que ça a dégénéré. Les gens se sont battus. Ils ont voulu s’en prendre au comédien. La femme qui hébergeait le comédien l’a tirée par la manche, elle l’a fait courir jusqu’à une petite porte en pensant qu’elle donnait sur un jardin, une infirmuière les poursuivait. Ils ont ouvert la porte et ils sont tombés dans l’obscurité au fond de ce qui était en fait un profond silo à grains médiéval.
La pièce commence ici, et ces trois personnages bloqués dans un état de semi-conscience, entre la vie et la mort, vont être amenés à partager leurs postures et commenter ce qu’ils pensent de celle des autres. Les deux femmes en particulier, l’une députée, l’autre infirmière, qui ne se parlent plus depuis l’enfance, seront amenées à se reconsidérer.
Et on observera sur scène, comment reste ou non un souvenir.
Et comment au présent, avant de devenir un souvenir, une situation qui se déroule sous nos yeux nous laisse la possibilité d’agir. On observera aussi quels sont nos réflexes, nos arrangements moraux, quand juste avant l’humiliation, quand il est encore temps de parler ou d’agir – victimes, nous pourrions encore être capables de nous opposer, – bourreaux, de nous arrêter. Observer pourquoi s’opposer, dire “non”, semble dans ces instants, soudain, invraisemblablement difficile.
Et de souvenirs en souvenirs, c’est un paysage fait de petites et de grandes humiliations qui se dessinent pour nos trois personnages, où les specteur·rice·s reconnaîtront sans doute ces situations à la fois banales et tragiques de l’existence.
Jean Le Peltier